La perte de maîtrise
La première étape nous demande d’admettre deux choses : nous sommes impuissants face à la dépendance, et nous avons perdu la maîtrise de notre vie. En fait, nous serions embarrassés d’admettre l’une sans admettre l’autre. La perte de maîtrise est la manifestation extérieure de notre impuissance. Il y a deux formes fondamentales de perte de maîtrise : la perte de maîtrise extérieure, celle qui est perçue par les autres, et la perte de maîtrise intérieure ou personnelle.
La perte de maîtrise extérieure s’identifie par certains signes comme une arrestation, la perte d’un emploi et des problèmes familiaux. Certains d’entre nous n’ont jamais pu conserver une forme de relation amoureuse durant plus de quelques mois. D’autres se sont vus séparés de leurs familles et ont été sommés de ne plus jamais entrer en contact avec elles. D’autres encore ont été incarcérés.
La perte de maîtrise intérieure ou personnelle s’identifie par un système de croyances malsaines et trompeuses appliqués à soi, au monde dans lequel nous vivons et aux gens qui nous entourent. Nous sommes persuadés que nous n’avons aucune valeur, ou bien qu’il est normal que le monde tourne autour de nous et qu’il revient aux autres de nous prendre en charge, car ce n’est pas notre affaire. Nous sommes convaincus que les responsabilités prises normalement par la moyenne des gens sont pour nous un fardeau bien trop lourd à porter. Nous réagissons trop ou trop peu face aux événements qui arrivent dans notre vie ; l’instabilité émotionnelle est souvent l’un des symptômes le plus visibles par lequel nous pouvons identifier notre perte de maîtrise personnelle.
Que signifie pour moi perdre la maîtrise ?
Perdre la maîtrise c’est ne plus contrôler quelque chose (une situation, ses émotions, sa volonté, son véhicule,…) ou quelqu’un (soi-même, son enfant, ses collaborateurs,…) mais être soumis à cette chose ou cette personne risquant alors de perdre motivation et confiance en soi.
Ai-je déjà été arrêté ou ai-je eu affaire à la justice à cause de ma consommation ? Est-ce que j’ai accompli des actes qui auraient entraîné mon arrestation si j’avais été pris ? Quels sont ces actes ?
J’ai commis un nombre incalculable de délits lié à ma consommation de drogue. Que cela soit pour m’en procurer, en transporter, en détenir, en consommer ou en vendre. J’ai été arrêté à de nombreuses reprises. J’ai eu affaire à la justice. J’ai été condamné. J’aurais pu être incarcéré et même à vie dans certains pays.
Quels problèmes liés à ma dépendance ai-je connus au travail ou pendant mes études ?
J’ai toujours réussi à ne pas consommer en entreprise mais je démultipliais ma consommation en dehors. Cette consommation induisait des difficultés dans mon travail. Ma consommation croissante et de plus en plus massive aura finalement eu raison d’un de mes emplois. J’ai finalement été licencié à non pas à cause de ma consommation, mais à cause de ces conséquences négatives et j’ai perdu une très bonne place durement acquise. Durant mes études ma consommation me demandait un effort supplémentaire de concentration et de vigilance. J’ai quitté prématurément mes études sans diplôme, non pas à cause de ma consommation comme au travail, mais celle-ci y a joué un rôle important.
Quelles difficultés ai-je eues avec ma famille à cause de ma dépendance ?
Ma dépendance me marginalisait ce qui avait pour conséquence de m’éloigner de ma famille. Cet éloignement portait sur les valeurs, les idées et toutes formes d’échanges en définitive. Il s’est accentué progressivement avec le temps pour devenir presque totale. Même si sans doute ma famille pouvait supposer ma consommation de produits, cela n’a jamais vraiment été évoqué ni partagé. Je n’évoque là que ma famille ascendante car je n’ai pas de famille descendante. Je ne sais pas évaluer l’incidence de ma consommation sur ce fait mais elle est indéniable.
Quels problèmes ai-je eus avec mes amis à cause de ma dépendance ?
La « sélection » de mes amis reposait progressivement sur ma consommation. Je me suis donc plutôt rapproché de consommateurs. Je n’ai pas eu d’histoire notable à propos de la consommation car j’ai toujours conservé un minimum de dignité avec mon entourage. J’ai pourtant du décevoir beaucoup de personne par mes excès, mes comportements, ma faillibilité. En définitive, et à l’image de mes relations familiales, je me suis isolé.
Est-ce que je mets de l’insistance à faire les choses à ma façon ? Quels en sont les effets sur mes relations avec les autres ?
C’est indéniable pour moi de mettre de l’insistance à faire les choses à ma façon. Ce comportement renforce en définitive mon isolement. Je partage moins avec les autres, je ne demande de l’aide qu’en dernier recours, j’ai davantage une attitude de défiance que de confiance, je suis rigide.
Est-ce que je tiens compte des besoins des autres ? Quel est l’effet de mon manque de considération sur mes relations avec eux ?
J’ai conscience des besoins des autres. En définitive, je n’y prête attention qu’en surface, que potentiellement, je ne m’investis pas tant que cela concrètement. De plus, je vais plutôt aider quelqu’un par intérêt, rarement gratuitement. Là encore, mon manque de considération va renforcer mon isolement. Je pense également que cela ne favorise pas une vision fraternelle du monde, une vision positive.
Est-ce que je suis responsable de ma vie et de mes actes ? Est-ce que je suis capable d’assumer mes responsabilités quotidiennes sans me sentir accablé ? De quelle façon cela affecte-t-il ma vie ?
Lorsque je suis clean, je me sens responsable et j’assume mes responsabilités quotidiennes. Par contre, lorsque ma dépendance est active, la consommation prend le dessus et je deviens irresponsable. En fait, c’est peut-être ce que je recherche de la dépendance active, à ne plus être responsable, à échapper au quotidien et aux choses auxquelles il faut faire face. Pourtant on n’échappe pas au quotidien, à la réalité. Du coup, les actes essentiels deviennent difficiles à réaliser. Ils sont repoussés au maximum, mal fait voir pas fait, et les déviances commencent, c’est-à-dire les mensonges, les manipulations, les faux… et donc l’accablement.
Est-ce que je me sens anéanti lorsque les choses ne vont pas dans mon sens ? De quelle façon cela affecte-t-il ma vie ?
Lorsque je suis accablé par les conséquences de ma dépendance active, je suis anéanti pour un rien. De simples choses qui ne vont pas dans mon sens prennent des proportions titanesques. Souvent dans ces moments d’anéantissements l’idée de mourir refait surface, pour enfin en finir ! C’est évidemment un motif supplémentaire pour consommer, pour consommer davantage. La situation se complique alors davantage provoquant encore et encore un motif supplémentaire de consommer, de consommer davantage, de consommer encore et encore davantage, ouvrant en définitive sur une spirale négative infernale.
Est-ce que je considère chaque épreuve comme une insulte personnelle ? De quelle façon cela affecte-t-il ma vie ?
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Est-ce que je vis en crise perpétuelle, en réagissant par la panique à chaque situation ? De quelle façon cela affecte-t-il ma vie ?
C’est exactement cela… une vie vécu en crise perpétuelle à agir en panique à toutes les situations. Je me souviens d’un mal être permanent à me sentir à la ramasse sur toutes les situations, complètement en décalage, à subir la moindre chose en transpirant à grosses gouttes. Le seul soulagement de la journée restant l’instant de la première consommation. Pourtant cet instant est très bref, furtif même, et fini par déboucher sur un excès de consommation laissant amorphe. Cela n’est pas vivre, c’est survivre à chaque instant, c’est épuisant.
Est-ce que je refuse de voir les signes qui indiquent que tout va vraiment mal – ma santé, mes enfants – en pensant que tout finira par s’arranger ? Décrire.
Globalement, je parlerais d’une vie faite de stratégies d’évitement permanentes. C’est-à-dire avoir conscience que la situation va vraiment mal, notamment par les signaux que me renvoient les conséquences de mes actes (garde à vue, retrait de permis,…), mais ne jamais l’affronter vraiment. Je repousse au lendemain, le « demain j’arrête » qui se prolonge interminablement en s’enfonçant. Je ne pense pas au fond que la situation finira par s’arranger, encore que je puisse m’illusionner sur le sujet. Je m’évade plutôt à court terme en m’illusionnant par de petites cabrioles et de la consommation. Des petits sauts de distractions, de furtives échappatoires.
J’identifie une technique destructrice de petits reculs, qui repousse au lendemain et de manière répété, pour des années.
A cause de ma consommation, face à un danger réel, suis-je resté indifférent ou totalement incapable de me protéger ? Décrire.
Cela arrivait fréquemment durant la consommation, mais également dans les phases de récupération, de rester indifférent devant le danger. Je pouvais rester totalement prostré, incapable de prendre quelque décision que cela soit par la confusion de mon esprit à cet instant ou la fatigue de mon corps.
Est-ce que j’ai blessé quelqu’un à cause de ma consommation ? Décrire.
Je crois pouvoir dire ne jamais avoir blessé physiquement quelqu’un à cause de ma consommation. Je ne suis pas violent avec les autres. Je contiens une très grande colère, je la refoule plutôt en l’exerçant contre moi-même. J’ai eu de la chance de ne pas avoir provoqué d’accident (notamment de voiture) qui aurait pu blesser quelqu’un à cause de ma consommation. Moralement, cela reste autre chose. J’ai très souvent été violent dans mes propos en montrant peu de bienveillance envers mes interlocuteurs. Je n’étais pas agressif ou injurieux, mais j’étais spécialiste pour mettre les pieds dans le plat, pour dire les choses que l’on ne veut pas entendre, pour dévoiler des vérités que l’on souhaite taire. Dans une moindre mesure, j’ai pu blesser quelqu’un en volant, en mentant ou en trichant.
M’arrive-t’il de connaître de tels accès de colère ou de réagir si violemment à mes émotions, que j’en perds le sens de la dignité et du respect envers moi-même ? Décrire.
L’intitulé de la question est fort pour exprimer mes dérapages. Cependant ils existent bien ces accès de colère dans ma vie. Ils sont le plus souvent consécutif à mes consommations lorsque culpabilisant et fatigué (voir en manque) je m’emporte pour un oui ou pour un non.
Ai-je consommé de la drogue, ou ai-je donné prise à ma maladie pour transformer ou enfouir mes émotions ? Qu’est-ce que j’ai essayé de transformer ou d’enfouir ?
J’ai très clairement consommé de la drogue pour transformer et enfouir mes émotions. Mon amour pour la consommation a commencé exactement durant l’été de mes 16 ans. Cela faisait 18 mois que mon père s’était suicidé et une culpabilité et une colère immense m’habitait. Lorsque qu’alors je fumais des joints, tout allait beaucoup mieux. Je retrouvais la joie, j’étais euphorique et apaisé. J’ai essayé, j’ai adopté. J’ai donc tenté de survivre au carnage de mon enfance et de mon adolescence par l’illusion des effets positifs de la drogue.